L'affluence touristique que connaît actuellement Locronan tient certainement à l'amour du public pour les belles maisons et les vieilles pierres. Elle reflète sans doute aussi une certaine fascination pour de très anciennes traditions. C'est ainsi que la Troménie, qui commémore l'antique pérégrination de saint Ronan, perpétue une géographie sacrée complexe à travers laquelle affleurent thèmes légendaires et mythiques
L'église de Locronan
- Vita Ronani, rédigée par un chanoine de Quimper, au début du XIIIème siècle (ou, selon certains, au XIIème ou au Xème siècle).
- Vita Rumani, qui s'inspire de la Vita de Ronan, rédigée dans l'île de Bretagne (Devon) au XIII/XIVème siècle.
- Donatien LAURENT et Michel TREGUER, La nuit celtique, Rennes, Editions Terre de Brume, 1996.
- « Saint Ronan et la Troménie », Actes du Colloque international du 28-30 avril 1989, Locronan, Editions Abardaeziou Lokorn, 1995.
- Maurice DILASSER, Locronan, Rennes, Editions Ouest-France, 1981.
- Maurice DILASSER, Locronan et ses environs, Paris, 1979.
- Collectif, sous la direction de M. Dilasser, Un Pays de Cornouaille : Locronan et sa région, Paris, 1779.
- Henri WAQUET, Locronan, Chateaulin, Editions Jos Le Doaré, 1958.
- Clotilde BAUGUION, La Grande Troménie de Locronan, Editions Jos Le Doaré, 1953.
- Charles DANIELOU, Locronan, Paris, Editions Musy, 1947.
- Alphonse de CHATEAUBRIANT, Locronan, Toulouse, Editions des Cahiers libres, 1928.
- Louis DUJARDIN, Saint Ronan, Notes sur sa vie et sur son culte, Brest, La Presse libérale, 1935.
- La Troménie de saint Ronan, carte itinéraire, Quimper, Imprimerie Le Goaziou, 1922.
- Guide de la Bretagne mystérieuse, Paris, Tchou, 1966.
- Ar Men, Edition du Chasse Marée, n° 9 (« La Troménie de Locronan ») - n° 28 (« La Troménie vue par les habitants ») - hors série 1994 (« A Locronan, les chemins de la Troménie »).
- Anatole LE BRAZ, « Le pardon de la montagne », in Au pays des pardons - Magies de la Bretagne, Paris, Robert Laffont, 1994.
- Albert LE GRAND, Les Vies des saints de la Bretagne Armorique, 1636 - Quimper, J. Salaun, 1901.
- Gwenc'hlan LE SCOUEZEC, Guide de la Bretagne mystérieuse, Paris, Tchou, 1966.
Locronan et sa Troménie semblent perpétuer jusqu'à nos jours l'existence aux premiers temps celtiques d'un nemeton, d'un espace sacré - temple sous la voûte du ciel - qui était le lieu des cérémonies druidiques.
En bordure de l'ancienne forêt qui recouvrait autrefois cette région, et au croisement de voies romaines ou pré-romaines, Locronan se situe à mi-hauteur entre une vallée humide et une « montagne » de 285 mètres, d’où l'on découvre la baie de Douardenez au-delà de la plaine du Porzay.
Le Bois du Duc
D'autres troménies se déroulent dans le Finistère selon un rituel similaire : situées entre le 1er mai et 21 juillet, elles proposent un parcours délimitant un territoire effectué dans le sens solaire, font référence à un saint fondateur et sont jalonnées par des pierres sacrées. Il s'agit de Plouguerneau, Landeleau, Plouzané, Gouesnou, et Guipavas. D'autres sites, en-dehors de la Bretagne, sont ou ont été aussi le théâtre de vastes processions circulaires autour d'un territoite, parfois nettement plus longues que celles de Locronan. Ce sont par exemple Céaucé, dans l'Orne, ou Larchant, dans la Seine-et-Marne.
Le village de Locronan
- En breton Lokorn, qui, inversant le O et le R, semble renvoyer à une fausse, mais significative étymologie fondée sur le mot « corne » comme dans le nom de saint Cornély.
- Parmi les anciennes appellations : Saint-Renan-du-Bois.
- La Montagne du Prieuré, ou de Locronan (Menez-Lokorn) était désignée au XVème siècle comme Menetnemet, la « montagne du nemeton ».
Goulit ar Guer
- La principale célébration est bien entendu la Troménie, qui se déroule du 2ème au 3ème dimanche de juillet. La Petite Troménie (attestée depuis la fin du XIXème siècle) correspond à un parcours de 4 à 5 kilomètres, tandis que la Grande Troménie, tous les six ans (selon un rythme calendaire gaulois), s'étend sur 12 à 13 kilomètres.
- La Saint-Ronan était, jusqu'au début du XIXème siècle, célébrée le 1er juin, et était marquée par une foire.
- La chapelle Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle connaît deux pardons annuels : le Petit, le dimanche de la Trinité, et le Grand, le premier dimanche de septembre.
- Au début novembre, on se rend de maison en maison par petits groupes (traditionnellement les parents du dernier défunt de l'année) pour distribuer le pain des morts (bara an Anaon) qui a été béni à l'église. Au-delà de la fête chrétienne de ce jour, ce rite se situe dans la tradition celtique qui célébrait alors le Samain, première nuit de l'année, pendant laquelle les vivants communiquaient avec les défunts qui étaient conviés à un grand festin.
- A l'opposé de l'année, le premier mai, on célébrait Beltaine, la fête du feu et du retour du dieu solaire Belen. Locronan perpétue cette tradition en célébrant l'arbre de mai : le premier samedi de mai, un hêtre, arbre sacré des Gaulois, est planté par les jeunes (autrefois par les conscrits) au centre de la place et y demeure jusqu'au solstice d'été, à la Saint-Jean, où ses branches sont brûlées lors d'un grand feu de joie.
- Loc, du latin locus, lieu, désignant en breton une église, un monastère, et Ronan, du nom de saint Ronan.
- Le nom, sous la forme lok- suggère à René Largillière (Les Saints et l'organisation chrétienne primitive dans l'Armorique bretonne, Crozon, Editions Armeline, 1995) une origine ne remontant pas au-delà au XIème siècle.
- La Troménie, en breton an Droveni, désigne le tro-minihi, le « tour de l'asile » ou, dans une interprétation populaire, tro-ar-menez, le « tour de la montagne ».
Le site de Locronan est un très ancien site d'occupation humaine au temps de la préhistoire (mégalithes) comme à l'époque gallo-romaine (voies de communication). On peut y reconnaître les vestiges d'un camp fortifié sur le flanc ouest de la montagne de Saint-Ronan, et l'existence d'une cour carolingienne avec des ateliers de fondeurs d'or.
Les invasions normandes ont par la suite marqué les environs.
La paroisse a été constituée à partir d'une donation effectuée au XIème siècle par le comte de Cornouaille à l'abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, et de l'établissement au XIIIème siècle d'un prieuré.
Le site était autrefois une terre d'asile vis-à-vis de la justice civile qui perdait ses droits de poursuite contre les condamnés qui se réfugiaient à l'intérieur du circuit parcouru par saint Ronan et qui ainsi se plaçaient sous la protection de saint Eutrope.
L'architecture locale trahit une prospérité certaine, due notamment, à partir du XVème siècle, à la fabrication de la toile de voile et à l'activité de la Compagnie des Indes.
Le puits et les maisons de Locronan, près de l'église
Pietà dans une rue de Locronan
Le site du Camp des Salles
Le conflit acharné qui oppose, dans une lutte de pouvoir, saint Ronan à Keben caractérise la thématique de Locronan et reflète le processus de christianisation du territoire dans une dialectique du bien et du mal. Et les stations de la Troménie, où se proclame l'Evangile, pourraient bien correspondre à des points où s'exorcisaient les pouvoirs occultes de la nature, et où se renouvelaient chaque année un acte d'appropriation, de domination des forces ténébreuses.
Le trajet suivi par la Troménie, dans le sens du soleil, et articulé autour de 12 stations principales, pourrait évoquer un culte solaire, avec projection de l'année. On reconnaît sur ce parcours certains indices de pratiques antiques et peu chrétiennes, comme la Jument de Pierre, ou d'autres pierres à caractère cultuel qui la jalonnaient autrefois et dont beaucoup furent précautionneusement détruites au fil des temps. Il est aussi remarquable que le Plas-ar-Horn, point culminant et essentiel du parcours, n'ait pas été christianisé par une chapelle avant le début du XXème siècle.
L'existence de rites de fécondité ancrés à Locronan se voit confirmée par les pèlerinages à saint Ronan effectués au XVème siècle par les ducs de Bretagne Jean V, Pierre II et François II, afin de « prospérer en fruit et en lignée ». Et divers gestes populaires se sont perpétués sur la commune : la Jument de Pierre - la Chaise de saint Ronan - semble avoir constitué la partie supérieure d'un menhir renversé de forme phallique qui se dressait au-dessus de la ville ; les femmes souhaitant avoir des enfants venaient s'y asseoir ou s'y coucher, tandis qu'elles allaient, dans la même intention, se frotter le ventre contre deux rochers qui auraient gardé l'empreinte faite par la charrette ramenant le corps de saint Ronan. La date même de la Troménie - mi-juillet - pourrait suggérer un rite de fertilité de la terre, lié aux moissons.
Faut-il au demeurant établir un lien entre ces rites de fécondité et un ancien culte associé aux animaux à cornes, qui pourrait nous faire remonter au dieu gaulois Kernunnos ? Le sommet de la Montagne de Ronan, point fort de la Troménie, porte le nom de Plas ar C'horn (« lieu de la corne »). C'est là que la corne du boeuf cassée par Keben serait tombée à l'arrivée du cortège funèbre de saint Ronan. On y voyait autrefois, ainsi qu'au pied du chemin y donnant accès, deux menhirs en « forme de corne ». Et on a découvert à proximité une plaque de bronze représentant un dieu cornu (Pan ?) accompagné de faunes, possible romanisation d'une tradition antérieure. Sur le versant de la Montagne opposé à Locronan se trouve une chapelle dédiée à saint Thélo, protecteur des bêtes à cornes représenté chevauchant un cerf, tandis que l'on dit que saint Edern, également représenté sur un cerf, se serait retiré dans la plaine, au Juch dont l'église possède un diable légendaire remarquablement cornu. Le pays lui-même, la Cornouaille, semble être placée, à travers le breton kerne, sous le signe de la corne.
Il y a là, de façon évidente, à travers la christianisation d'anciennes traditions, une continuité séculaire perpétuant un lieu de culte que l'on peut qualifier de « druidique » (et qui remonte probablement au-delà de la présence celtique, au temps où les populations du néolithique dressèrent les mégalithes). Telle est la thèse très convaincante exposée par Donatien Laurent, notamment dans le cadre du livre collectif Saint Ronan et la Troménie.
La configuration du terrain et les différentes traditions locales gardent l'empreinte de représentations pré-chrétiennes, dans lesquelles on peut notamment déceler une projection du calendrier gaulois.
Donatien Laurent a tenté de déchiffrer le rite chrétien à la lumière des traditions celtiques.
Une maquette, exposée au Musée d'Art et d'Histoire de Locronan, permet de faire le lien entre le nemeton druidique et le rituel de la Grande Troménie. Jean-Yves Nicot la commente.
Le diable du Juch
La Jument de Pierre
La Jument de Pierre
Jean-Yves Nicot, maire-adjoint de Locronan
Hervé Le Bihan