Les moines du Mont Glonne (Saint-Florent-le-Vieil), revenant de Tournus au Xème siècle, regagnent leur ancienne possession de Saumur, et trouvent asile à l'intérieur du Castrum Salmuri. Leur présence en ce lieu sera confirmée au siècle suivant par Foulques Nerra qui y établira une abbaye. Mais les reliques du saint auront connu bien des aventures avant de regagner les bords de la Loire :
Tout commence à l'abbaye de Saint-Florent-le-Vieil lorsque les incursions normandes et bretonnes se multiplient sur les rives de la Loire au IXème siècle. En 853, les moines doivent fuir, ce qu'ils font en emmenant ce qu'ils possèdent de plus précieux : les reliques de leur saint patron.
Ils se réfugient d'abord à Saumur, mais se voient à nouveau menacés. Ils remontent la Loire jusqu'à Saint-Gondon. Puis la légende les emmène jusqu'à Tournus, en Bourgogne. Un siècle plus tard, la situation est pacifiée, et l'abbaye renaît de ses cendres à Saint-Florent, et surtout à Saumur qui devient le principal établissement. Mais Tournus refuse de rendre les reliques. Alors le moine Absalon se rend sur place, se fait nommer sacristain et en profite pour récupérer les reliques.
Mais l'aventure mérite qu'on s'y attarde. Là voilà telle que la rapporte J.-B. Coulon :
"L'audacieux moine aborde timidement l'abbé de Tournus, le vigoureux pèlerin est devenu tout-à-coup manchot et paralytique, et le bon abbé se sent ému de pitié et d'admiration pour cet humble religieux, qui vient du fond du Maine pour vivre sous la règle des enfans de Saint-Florent.
"Pendant cinq ans le moine Absalon a la force de jouer ce rôle si difficile, sans qu'il soit possible à l'oeil le plus exercé, de reconnaître la supercherie. Après ces cinq années d'épreuves, le moine du Mans fut élu gardien des châsses de l'abbaye : il avait atteint son but, c'était là ce qui devait couronner la prodigieuse patience de l'ambitieux Absalon. Cependant il avait encore à connaître la châsse, qui renfermait les reliques de Saint-Florent, et il n'osait faire de question indiscrète. Il va trouver l'abbé, se jette à ses pieds, et lui demande, avec les prières les plus vives, qu'il lui soit permis de toucher aux reliques du Saint du Mont-Glonne, pour en obtenir la guérison de son infirmité. L'abbé lui accorde cette faveur ; mais, dit la chronique, cette fois il ne s'opéra point de miracle, car il n'en étoit point besoin.
"L'heureux Absalon connaît donc enfin ce grand secret. Dès ce moment il rêve, jour et nuit, aux moyens d'enlever ce précieux trésor et de le rendre aux rives de la Loire ; il ne dort plus, il passe de longues heures, au pied de la châsse, à réfléchir à ce projet sacrilège, tandis que les religieux admirent l'ardeur et la patience de la foi de leur pieux confrère. Cent projets lui traversent l'esprit, mais tous présentent trop de dangers pour que le rusé Absalon s'expose à perdre ainsi le fruit de ses longs efforts. Enfin le moment décisif était arrivé : son dessein est arrêté. Demain, c'est une fête solennelle pour l'abbaye et les bons moines en célèbrent joyeusement les Vigiles. Déjà plus d'un gai refrain, qui ne se trouvait point dans le rituel, plus d'un bon mot, quelque peu mondain, circulait parmi les heureux convives, au milieu du choc des pots où pétillait un excellent bourgogne ; on but long-temps et du meilleur, nous assure le fidèle historien. Cependant la voix grave et sévère d'Absalon ne se mêla point aux ébats profanes des moines de Tournus : sans doute il priait en ce moment, auprès de la châsse de Saint-Florent, pour en obtenir, à force de persévérance, sa guérison miraculeuse : c'était ce que pensaient ceux qui avaient remarqué son absence.
" La nuit était avancée : les chants joyeux avaient cessé de se faire entendre, les brocs, de se remplir, les outres, de se vider ; le sommeil appesantissait les yeux tout-à-l'heure brillans et animés des convives ; les religieux se retirèrent, un peu troublés, dans leurs cellules, et bientôt le silence le plus profond régna dans la vaste abbaye. Au moment où les plus folâtres images, les plus gais fantômes se berçaient à chaque chevet, un moine sortait mystérieusement de sa cellule : il parcourut lentement et avec précaution les longs corridors, les cloîtres extérieurs, cherchant à reconnaître le moindre bruit, le plus léger frôlement de robe, qui lui eut appris qu'un autre veillait encore. Sûr qu'il n'a aucune surprise à redouter, il se dirige vers la chapelle où sont déposées les reliques de Saint-FLorent. La grille de fer de la châsse avait été limée d'avance, et sous les murs du monastère, un cheval attendait le ravisseur. Avant de porter sur les reliques une main téméraire, Absalon se met à genoux et prie avec ferveur pour se rassurer sur la profanation qu'il va commettre, puis il étend, sans trembler, sa main paralysée, sur les restes vénérés du Saint. Ce fut réellement alors un merveilleux prodige : la taille affaissée d'Absalon se redresse fièrement, sa vigoureuse main, oublieuse de sa force depuis tant d'années, enlève avec frénésie l'inestimable trésor ; il le dépose avec soin, dans son havre-sac de peau de cerf, et s'élance hors de la chapelle, trouvant, sous son fardeau sacré, une agilité surhumaine. Hâtons-nous cependant d'ajouter que le consciencieux aventurier avait laissé dans la châsse violée un fragment du crâne du Saint, pour ne pas enlever aux moines de Tournus une source aussi inépuisable de richesses et de miracles. Mais déjà on entend auprès de l'abbaye le galop précipité d'un cheval, puis le bruit s'éloigne et s'affaiblit peu-à-peu, n'arrivant que par intervalles à Tournus, apporté par le souffle de la brise, puis on n'entend plus rien.
"Le lendemain, lorsque la cloche appela les religieux au choeur, et vint interrompre les rêves délicieux où le sommeil bienheureux des enfans de Saint-Florent, grand fut l'étonnement de tous de ne pas entendre le vigilant Absalon gourmander la paresse de ses frères à se rendre à l'office du matin : sa veille l'avait fatigué sans doute. Les chants sacrés avaient commencé, lorsqu'un cri de consternation et d'horreur, comme celui que suivrait l'apparition d'un spectre épouvantable, vint heurter et briser les notes graves et solennelles de la psalmodie. Quelques moines s'enfuient, effrayés ; d'autres se jettent à genoux, dans l'attente d'un prodige affreux de l'esprit malin ; Ies autres, plus intrépides, courent à la chapelle où s'est fait entendre ce cri formidable. Un moine était là, immobile, muet de saisissement et le bras tendu vers la châsse ouverte et profanée de Saint-Florent : l'affreuse vérité se révèle à tous les yeux, le tumulte devient effroyable, et tous, les plus timides eux-mêmes, se réunissent dans un concert de malédictions fulminées contre le ravisseur dont le nom est déjà dans toutes les bouches.
"Des cavaliers sont mis à la poursuite du fugitif, après avoir juré de le ramener, à quelque prix que ce soit, avec le précieux trésor.
"Le trop bouillant Absalon avait oublié sa prudence accoutumée, et, dans son impatience, il avait tellement poussé son cheval, qu'après avoir parcouru une distance énorme en quelques heures, sa monture s'était abattue d'épuisement. Pour lui, il marchait, infatigable, sans prendre presque de repos et de nourriture ; mais quelle que fût la rapidité de sa marche, les cavaliers de Tournus l'atteignirent le lendemain, au coucher du soleil, auprès d'une rivière large et profonde. Le nouveau Moïse allait infailliblement tomber entre les mains des Égyptiens, lorsque, se rappelant à propos le passage de la Mer Rouge, il demande au Saint ce miracle en sa faveur. Je laisse à peindre l'étonnement des cavaliers, quand ils le virent traverser, comme un grand chemin, cette rivière qui devait être le terme de sa fuite. Plus prudens que les cavaliers de Pharaon, ceux des moines de Tournus, après avoir demandé pardon au Saint, qui protégeait si visiblement Absalon, tournèrent bride et revinrent raconter cette merveille aux religieux consternés.
"Le reste du voyage s'acheva heureusement, et Saint-Florent fut rendu quelques jours après aux bords de la Loire."
La mort de saint Florent (tapisserie de la Vie de saint Florent)