Type de représentation qui prospère sous l'occupation romaine, sans doute aux II et IIIème siècles, mais qui est propre au territoire gaulois.
L'art roman a repris ce thème, spécialement dans la région Poitou-Charentes, en le faisant figurer au fronton des églises.
On a pu dire que la représentation du « cavalier à l'anguipède » trouverait son modèle dans la célèbre statue équestre de Marc-Aurèle, sur la place du Capitole, à Rome. Le rapport semble plus évident avec ces représentations de barbares foulés aux pieds par la cavalerie romaine comme on en trouve beaucoup au IIème siècle ap. J.-C. (décorations de sarcophages, réemplois dans l'arc de Constantin ...). L'influence est certaine sur le plan du traitement, l'art celtique ignorant la tradition figurative. Mais l'imitation, si elle existe, se limite à la performance technique. Le sujet, lui, reste profondément original, propre à la Gaule de la période romaine, et sa large diffusion comme la singularité de la composition d'ensemble plaident pour une origine autochtone, aboutissement d'une tradition antérieure que seule l'évolution des pratiques artistiques a permis de matérialiser.
Le thème gallo-romain du cavalier à l'anguipède faisait souvent figurer une dédicace à Jupiter (OM, « optimo maximo »), et des feuilles de chêne (symbole de Taranis), de laurier ou de hêtre. Il constituait un monument complexe, assemblant habituellement les éléments suivants :
- un socle inférieur, quadrangulaire, suggérant la division de l'espace avec, aux quatre points cardinaux, Junon/déesse-mère à l'est, Hercule/Ogmios au nord, Minerve/Rigantona à l'ouest, et Mercure/Lug au sud
- un fût de colonne recouvert d'écailles, ou de feuilles superposées
- un socle supérieur représentant les sept planètes et les sept jours de la semaine (Luna, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, Saturne et Sol)
- un chapiteau avec quatre têtes ou bustes personnifiant les quatre saisons : quatre figures féminines, ou bien un jeune homme à l'est, une jeune femme avec un épi de blé au sud, un homme mûr à l'ouest, et une femme voilée, la bouche ouverte, au nord
- le cavalier, barbu, manteau flottant au vent, qui prend son essor vers le ciel en brandissant parfois de la main droite la roue ou le foudre. Il domine un géant trapu, fortement musclé, exprimant l'effort, la plupart du temps masculin, et aux pieds en forme de serpent, lequel gît à demi couché sous les antérieurs du cheval cabré. Il est orienté comme le cavalier, et sa lourde queue soutient parfois la partie arrière du ventre du cheval. Dans de nombreux cas, le cavalier regarde vers l'est. A noter que l'anguipède lui-même, habituellement désigné comme un « géant », reste le plus souvent proportionné avec la taille du cavalier.
La colonne apparaît de façon assez évidente comme un axis mundi, qui met le cavalier en relation avec les espaces célestes vers lesquels il s'élance, et qui développe à ses pieds la manifestation : les planètes, les jours, les saisons et la construction de l'espace. Quant au groupe cavalier/anguipède lui même, l'interprétation historique (Rome terrassant les Barbares, puis le christianisme supplantant le paganisme) ne semble pas devoir être retenue. L'époque qui a vu ce thème se développer ne s'y prêtait pas et un examen attentif de ces monuments prêche plutôt pour une illustration tardive par les Gallo-Romains d'anciens mythes gaulois. On peut y voir bien sûr la victoire de Jupiter sur les Géants, les tumultueux fils de la terre, qui étaient effectivement mi-hommes mi-serpents, et qui avaient voulu s'emparer de l'Olympe. Et l'on peut aussi y voir le Jupiter gaulois Taranis lançant la foudre sur la terre, symbolisée par le géant, pour faire tomber la pluie et jaillir des sources. L'anguipède également, avec sa queue serptentine, appartient à la famille de Mélusine ou du serpent (souvent représenté à tête humaine) de la tentation d'Eve. Le cavalier serait alors à mettre au rang des sauroctones, et un saint Georges de l'église Sainte-Croix de Bordeaux est bien proche de certains cavaliers d'églises charentaises. L'interprétation première consiste en effet à voir là « la victoire des forces célestes sur celles de l'ombre, de l'eau et du sous-sol », ou plus précisément « l'image du Dieu du ciel et de la lumière, peut-être de la foudre, écrasant le Dieu souterrain qu'il vient de vaincre », comme le formule Henri Fromage. Mais celui-ci note qu'en fait l'anguipède est rarement écrasé et réellement vaincu, et que sa position à terre n'est qu'un effet de la nature de ses jambes. En fait il se redresse, et semble porter volontairement le cavalier dans son essor vers les cieux, lui offrant comme une sorte de piédestal. Et, tel Antée, il assure un lien viscéral avec la Terre, y prenant solidement appui : il en tire toute sa puissance. Dès lors ce motif représenterait la « coopération entre deux Dieux contraires, le saut héroïque n'étant possible qu'avec la connivence des forces terriennes et souterraines ». Selon Lambrechts, les cavaliers à l'anguipède, comme certaines sculptures où le « dieu à la roue » est accompagné d'un autre personnage qu'il domine, seraient des représentations de la double nature de Taranis, en même temps dieu solaire et divinité infernale. On retrouve là le rôle de l'axis mundi, qui relie les différents niveaux de la manifestation : pour s'élever vers le ciel, le cavalier prend appui sur la terre et sur les forces chtoniennes symbolisées par la queue de serpent. Il y a là conciliation des opposés, réunification des forces.
Le cavalier est assimilé par certaines inscriptions à Jupiter, et il est à rapprocher des représentations de ce dieu, ou de son équivalent gallo-romain Taranis (porteur de la roue ou du foudre), debout et accompagné d'un petit personnage anguipède. Henri Fromage (BSMF n° 56) identifie l'anguipède à Cernunnos, Mercure et Gargantua. On y a aussi vu, dans les représentations ultérieures sur la façade des églises, l'empereur Constantin triomphant de ses ennemis (allégorie de la victoire du christianisme sur le paganisme).