Sainte Néomaye est connue, sous ce nom ou d'autres faisant soument appel aux consonnes N et M, au nord du Poitou et jusqu'aux bords de Loire. Représentée comme une simple bergère filant la quenouille, comme plus au sud sainte Germaine, on la reconnaît à son pied droit, palmé en patte d'oie. « Pédauque » par conséquent, au sens étymologique du terme, elle semble faire écho à d'autres personnages féminins de la légende ou de la mythologie, et son histoire ne peut manquer de faire sens.
Le pied de sainte Néomoise, église de Sambin (41)
- Charles de CHERGÉ, Les Vies des saints du Poitou, Nantes, Ed. Williamson, 1856.
Abbé AUBERT, Les Saints de l'église de Poitiers.
Henri FROMAGE, Sainte Enimie et le Drac, Bulletin de la Société de Mythologie Française, n° 66 (1967)
- Claude GAIGNEBET, Véronique ou l'image vraie, Bulletin de la Société de Mythologie Française, n° 139 (1985).
- OVIDE, Les Métamorphoses.
- Bertrand de MARSEILLE, La Vie de sainte Enimie, poème provençal du XIIIème siècle, Clovis Brunel, Librairie Champion, Paris, 1917.
Sainte Néomaye pourrait être une divinité gauloise christianisée.
Sainte populaire, reconnue par le martyrologe du diocèse de Poitiers avec comme argument : « Sa gloire est plus connue de Dieu que des hommes. Ce qui prouve suffisamment sa sainteté c'est qu'une église paroissiale dédiée à son nom attire depuis des siècles un concours considérable de peuple. »
L'épisode que l'on retient de sa vie est sa fuite devant un séducteur trop entreprenant et la transformation souhaitée de son pied en patte d'oie, qui met fin à l'agression.
Saint Néomoise, église de Sambin (41)
Le nom de Néomaye - en latin Neomadia ou Noemisia - connaît de multiples déclinaisons. Citons : Néomadie, Nomadie, Néomaie, Neomisia, Néomée, Nomaille, Niomoise, Némoise, Néromoie, Néomoise, Lormoise, Trémoise, Mie-oie ou Enémoie, voire Noémie («nouvelle lune»), bien que ce dernier nom soit distinct.
Nombreux sont les personnages qui, directement ou indirectement, semblent faire écho à la légende de sainte Néomaye : dans les gorges du Tarn, sainte Enimie, dont la virginité est préservée grâce à une lèpre providentielle, tout comme sainte Isbergue (Gisèle), la fille de Berthe au Grand Pied ; à Toulouse, Austris, la «Reine Pédauque», elle aussi affligée de la lèpre ; Mélusine, dont les jambes se transforment en queue de serpent ; la Reine de Saba, qui prend le sol du palais de Salomon pour de l’eau et qui se trahit en remontant le bas de sa robe pour révéler des jambes velues et un pied de chèvre ; et pourquoi pas Némésis qui, voulant échapper à Zeus qui la poursuivait de ses avances, se transforma en castor, en poisson, et finalement en oie à laquelle le dieu, devenu cygne, parvint à s'unir ?
On peut aussi se demander si sainte Austreberthe n'était pas également pédauque, puisque, pour échapper à des poursuivants, elle traverse la rivière Canche à pied sec. Une petite chapelle, sur la rive, commémore ce miracle, ainsi qu'un vitrail de l'église de Pavilly.
Certains thèmes relient tous ces personnages et bien d'autres : il s'agit de femmes, dont on vante la beauté, mais qui sont frappées d'un aspect disgrâcieux suscitant le dégoût de ceux qui se montrent trop empressés de les séduire. Le même scénario peut s'exprimer de deux façons : ou bien elles ont un pied difforme, ou bien elles sont atteintes par la lèpre. Très souvent ces femmes ont une affinité avec l'eau et prennent volontiers des bains.
Faut-il aussi faire un lien, pour la consonance des noms et la parenté thématique, et bien qu'il s'agisse d'un homme, avec Naaman, que le prophète Elisée guérit de la lèpre en lui demandant de se plonger sept fois dans les eaux du Jourdain (Rois, II 5) ?
Entre le 13 et le 17 janvier selon les lieux (le 13 à Ste-Néomaye, le 14 en Poitou, le 15 en Touraine).
On a pu avancer que le nom «Néomaye» se référait à une «nouvelle lune», impliquant de ce fait un lien avec le cycle des menstruations. La piste que propose Henri Fromage (Sainte Enimie et le Drac, BSMF n° 65) suggère une autre lecture :
« On sent que ceux qui ont dit «Enémoie», «Trémoie», «Mie-oie» et même «Némoise», «Néomoise» ont été poussés par le désir de souligner la forme d'oie ou d'oiseau de la sainte. Mais rien ne prouve que l'oie soit dans la finale du nom. En effet en Lozère la compagne d'Énimie s'appelle «Miette», qui semble un diminutif affectif de «Mie» et l'idée vient de considérer que Énimie est formé de deux mots «Ene» et «Mie», et s'il faut trouver une oie dans ces deux termes, c'est dans le premier qu'elle se montre. En effet l'oie ou la cane se dit en vieux français : «ane». Or l'«A» initiale n'est pas très solide. On le voit aisément se transformer en «è» , surtout si le mot s'allonge de suffixes. Ainsi dit-on en vieux français : enille ou eneille (petite cane) pour anille, on a dit ennicroche pour anicroche, on dit encore en Picard : enette pour anette, de même que par ailleurs on a dit enoit pour anuit. Pourquoi de même, n'aurait-on pas dit Enemie pour Anemie ? Reste à définir le sens du mot «mie». Bien des solutions s'offrent, mais la plus tentante est la suivante : le vieux français a dit souvent «mie» pour «mège» ou «mèje» ou encore «miège», «mige» voire «mide», tous mots dérivés du latin «medicum» (ou «medicam» aussi bien) et qui signifie évidemment : médecin, soigneur, guérisseur. Ainsi faudrait-il conc1ure qu'Énimie, tout comme Néomaye, sont des canes-guérisseuses. Hypothèse qui laisse perplexe sans doute, mais cependant combien justificative, et difficile à formuler autrement. »
A Loudun, Vème siècle.
A Sainte-Néomaye.
Sainte Néomadia, église de Brain-sur-Allonnes (49)
Fille du sire de Bauçay ou Beaussais, près de Loudun.
Patronne des bergers dans les Deux-Sèvres.
Guérisseuse, notamment de l'épilepsie ou des vers intestinaux des enfants (on lui adresse à cet effet des rubans « verts »).
Invoquée par les jeunes filles de Sambin pour trouver un mari ; les jeunes épousées lui offraient des quenouilles.
Le pied de sainte Némoise, église de Lerné (37)
Habituellement représentée en bergère filant la quenouille (telle Berthe au grand pied, du temps où elle filait ...), et dotée d'une patte d'oie à la place du pied droit.
L'église de Sainte-Néomaye (dont le nom est attesté en 1244) conservait le tombeau de la sainte. Celui-ci disparut au moment des Guerres de Religion, au XVIème siècle.
Sainte Némoise, église de Lerné (37)
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L'histoire de sainte Néomaye se répète en divers endroits, et trouve maintes résonances mettant en scènes des héroïnes aux noms divers. Il s'agit, à la base, du thème universel de la jeune femme chaste qui repousse les avances trop pressantes d'un homme qu'elle cherche à fuir. C'est ainsi que Diane transforme Actéon en cerf, que Viviane enferme Merlin dans une prison d'air ou encore que Shéhérazade berce le calife avec ses histoires.
Dans le contexte chrétien, l'homme est toujours éconduit, mais c'est souvent la jeune femme qui subit les conséquences de son refus : si sainte Radegonde échappe par la ruse à Clotaire, ou si sainte Enora peut gagner un asile, c'est dans la mort que sainte Noyale et nombre de vierges martyres trouvent refuge. Et ce thème est complété ici par celui d'une métamorphose salvatrice : sainte Néomaye obtient du Ciel une transformation physique par laquelle elle cesse d'être désirable (dans les mêmes circonstances sainte Wilgeforte se retrouve barbue).
C'est ainsi que la bergère, rentrant chez elle avec des oies blanches qu'elle vient d'acheter, se voit poursuivie dans les bois par le seigneur de Lerné. Sur le point de succomber, elle implore Dieu de la rendre difforme afin de sauvegarder sa virginité. Sa jambe droite se couvre alors de plumes blanches, et son pied devient palmé. A cette vue, le séducteur est dégoûté et il abandonne aussitôt sa poursuite. Plus tard Néomaye se retire sur le site de la future Ste-Néomaye, où elle devient simple bergère. En plantant sa houlette en terre, elle fait jaillir la fontaine de Fontecreuse.
La transformation du pied de sainte Néomaye n'est pas neutre : si la patte d'oie, à la forme bien caractéristique, désigne aujourd'hui une forme de tendinite, elle était à la fin du Moyen-Age associée à la lèpre, maladie dont sainte Enimie elle-même est nommément atteinte ; la patte d'oie était un signe d'opprobe, une marque jaune (ou rouge) que les cagots devaient porter, cousue sur leur vêtement (ce qui nous rappelle hélas des souvenirs plus récents, même si c'est à Saint Louis que l'on doit, à partir de 1269, l'obligation de port de signes jaunes par les juifs). On comprend de ce fait la répulsion que peut inspirer au séducteur la vue de la patte d'oie.
Mais cette marque infamante appliquée à des jeunes femmes peut être lue d'une autre façon : pour la tradition populaire, un enfant conçu lorsque sa mère a ses règles devient lépreux. La notion d'impureté peut concerner autant la femme menstruée que le lépreux. Un tabou universel établit qu'aucun homme ne peut voir sans prendre des risques une femme dans cet état. Néomaye, poursuivie et sur le point d'être violée, montre sa patte d'oie. L'agresseur, effrayé, s'enfuit. La patte d'oie pourrait donc signer l'état de menstruation (rappelant que le nom de Noémie/Néomaye semble faire référence aux phases de la lune).
Mélusine elle aussi est réputée prendre son bain menstruel lorsque Raymondin la surprend dans son intimité et découvre sa queue de serpente. Comme celle-ci, ou comme ces femmes-oiseaux qui se dépouillent de leurs manteaux de plumes pour se baigner dans l'eau d'un lac, Néomaye participe de l'autre monde, trahie par sa claudication, et si son impureté est dangereuse, c'est qu'elle est sacrée. Claude Gaignebet (BSMF 139) le constate : « Les filles des dieux ne sont-elles pas soumises au cycle lunaire ? Elles descendent sur les rayons d'une certaine lune pour se purifier, loin d'un monde céleste qui ne supporterait pas le contact de leur souillure. Alors, et alors seulement, elles apparaissent aux hommes, ayant dépouillé leur vêtement d'invisibilité (...) Le berger qui les approche comme femmes, à cet instant précis où toute femme est interdite, prend à l'évidence de grands risques. Le regard de la femme menstruée n'est-il pas venimeux ? C'est à cette condition pourtant qu'il pourra, selon le beau mot de Virgile, "partager la table des dieux, le lit des déesses" et engendrer une lignée noble, quasi divine. Mais tout au long de l'histoire cette lignée sera poursuivie par la malédiction de son origine menstruelle et serpentiforme. »
Sainte Néomaye dans l'église de Cizay-la-Madeleine (49)