Lancelot est, depuis la fin du XIIème siècle, un personnage de roman qui ne cesse de flatter l'imagination et de susciter interprétations et commentaires. C'est avec Chrétien de Troyes, qui l'introduit à la cour du roi Arthur, qu'il apparaît dans la littérature française, avant d'être repris par les auteurs germaniques et britanniques. Mais on n'en trouve pas trace dans les traditions de la Bretagne armoricaine d'où il est pourtant supposé être issu. Il représente l'idéal chevaleresque et la courtoisie du Moyen Âge portés à leurs points de perfection. Il devient le héros des Chevaliers de la Table Ronde. Mais il est en même temps vulnérable et faillible. Si son indéfectible amour pour la reine Guenièvre illumine sa vie et lui permet d'accomplir les plus grandes prouesses, la faute qui y est attachée l'empêche de mener à terme la mission spirituelle qui l'attendait. Et, ardent et irréprochable défenseur du monde arthurien, c'est lui qui finalement en provoque la ruine. Cette figure ambiguë dépasse cependant le strict domaine littéraire, et l'on ne peut manquer de déceler, dans la complexité de son personnage, des traits relevant de traditions religieuses, légendaires et mythiques. Son image s'en trouve enrichie de nouvelles facettes.
allusions à Lancelot dans Chrétien de TROYES : Erec et Enide et Cligès.
Lancelot, en tant que personnage, apparaît vraiment dans Chrétien de TROYES, Le Chevalier de la charrette, vers 1180 - publication par Mario Roques, Paris, Champion, 1958 - édition bilingue de A. Foulet et Karl O. Uitti, Paris, Bordas, Classiques Garnier, 1989 - édition critique bilingue, avec présentation et notes de Charles Méla : Librairie Générale Française (Le Livre de Poche), 1992.
- Ulrich VON ZATZIKOWEN, Lanzelet, fin XIIème siècle, et donc contemporain de l'oeuvre de Chrétien.
- Vulgate du Lancelot en prose ou Corpus Lancelot-Graal, vers 1225-1228, vaste corpus rassemblant notamment Le Lancelot-propre, La Quête du Saint-Graal et La Mort du roi Arthur - édition par Alexandre Micha, Le Lancelot en prose, 9 vol., Genève, Droz, 1980-1983 - extraits par Alexandre Micha, Lancelot, roman du XIIIème siècle, 2 vol., Paris, 10-18, Bibliothèque médiévale, 1983 - la première partie du roman par François Mosès, Lancelot du Lac, Librairie Générale de France, 1991.
- Le Roman de Morien et Les Merveilles de Rigomer, XIVème siècle.
- Thomas MALORY, Le Morte Darthur, XVème siècle, extraits, trad. française de Marguerite-Marie Dubois, Paris, Aubier éditions Montaigne, 1948.
- Jean MARX, La Légende arthurienne et le Graal, Paris, P.U.F., 1952.
- Jacques RIBARD, Chrétien de Troyes. Le chevalier de la Charrette. Essai d'interprétation symbolique, Paris, Nizet, 1972.
- J.-Ch. Payen, Lancelot contre Tristan : la conjuration d'un mythe subversif, Mélanges Pierre le Gentil, SEDES etCDU, 1973.
- sous la direction de J.-Ch. PAYEN, La Légende arthurienne et la Normandie, Condé-sur-Noireau, Corlet, 1983.
- Charles MELA, La Reine et le Graal - La conjointure dans les romans du Graal, de Chrétien de Troyes au Livre de Lancelot, Paris, Editions du Seuil, 1984.
- Jean MARKALE, Lancelot et la chevalerie arthurienne, Paris, Imago, 1985.
- sous la direction de M. PASTOUREAU, Les Romans de la Table Ronde, la Normandie et au-delà, Condé-sur-Noireau, Corlet, 1987.
- Georges BERTIN, La Quête du Saint-Graal et l'imaginaire, Condé-sur-Noireau, Ch. Corlet, 1997.
- Mireille SEGUY et autres auteurs, Lancelot, Paris, Editions Autrement, 1996.
- à paraître : Réjane MOLINA, Histoire secrète de Lancelot du Lac ; la genèse de la littérature du Graal, Editions de Neustrie.
- Henri FROMAGE, Lancelot, le Roi des Poissons, Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 156.
- Léopold LABORDE, Quelques vues sur Lancelot, et Le berceau de Lancelot du Lac ; Christian DAVID, Le nom de Lancelot est-il français, gallois ou breton ; Georges BERTIN, Le mythe de Lancelot du Lac ou l'animation et l'animateur, Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 168-169.
- Georges BERTIN : Lancelot du Lac, héros des passages, Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 190-191.
Parmi les oeuvres littéraires récentes inspirées par Lancelot :
- Boris VIAN, Le Chevalier de neige, Christian Bourgois, 1974.
- Florence DELAY et Jacques ROUBAUD, Graal théâtre, Gallimard, 1977.
- Marion ZIMMER-BRADLEY, Les Dames du lac et Les Brumes d'Avalon, Paris, Pygmalion, 1986, 1987.
Au cinéma :
- Robert BRESSON, Lancelot du Lac, 1974.
- John BOORMAN, Excalibur, 1981.
- Jerry Zucker, Lancelot, 1995.
Personnage romanesque d'origine française - armoricaine ou normande -, apparaissant dans Le Chevalier de la Charrette de Chrétien de Troyes, et pouvant avoir été inspiré par la vie de saint Fraimbault, ou bien par un personnage historique de la région de Vannes au VIIème siècle..
-Eternel amoureux, amant parfait
-Chevalier errant, parangon des vertus chevaleresques
- Galaad, son nom de baptême, Lancelot n'étant que son surnom
- Le "meilleur chevalier du monde"
- Longtemps anonyme, d'abord appelé par Viviane "beau fils de roi", "beau trouvé", puis désigné par des périphrases : tout simplement "le chevalier", "le blanc valet" ou "le blanc chevalier", ... voire "le chevalier dont le nom vient d'être révélé".
- Selon Jean Marx et Jean Markale, le dieu Lug.
- Le héros Cûchulainn de la tradition irlandaise.
- Selon René Bansard et Georges Bertin, saint Fraimbault.
- En tant que "champion", équivalences relevées par Jean Markale avec Cûchulainn et Batraz, héros irlandais et narte (Asie Centrale).
- Tristan, en tant que parfait amant de la femme de son suzerain, mais Lancelot aime Guenièvre de son propre chef, et non sous l'emprise d'un philtre.
- Tous les héros de romans ou de films d'aventures, de westerns, de polars ..., à la fois grands justiciers et grands amoureux, entre autres ceux dont le nom reste caché, secret.
"Lancelot" semble bien être un nom français formé à partie du mot "lance". On a pu cependant lui trouver des connotations dans les langues celtiques : lên en breton armoricain, ou llyn en gallois, désigne un lac, et l'appellation "Lancelot du Lac" pourrait expliciter un nom antérieur. Roger Sherman Loomis, quant à lui, évoque le dieu Lug Lamfada, "Lug à la longue main".
- Peut-être, selon Christian Guyonvarc'h : "l'ansel" + diminutif "ot", soit : "le petit ansel", "le petit serviteur".
Le château de Lassay-les-Châteaux (53), dans un environnement qui aurait pu inspirer le personnage de Lancelot
- Originaire des marches de la Gaule et de la Petite Bretagne (l'Armorique), dans la ville de Trèbe.
- Si l'on en croit le Lancelot-Graal, né au printemps, un peu après la Pentecôte.
- Enlevé à ses parents par Viviane, qui l'élève dans un château merveilleux, au fond d'un lac.
Termine sa vie dans un monastère, et est enterré auprès de Galehaut, au château de la Joyeuse Garde.
- Fils de Ban de Bénoïc et d'Elaine, la fille d'Agravadain.
- Par sa mère, de la lignée du roi David et de Joseph d'Arimathie.
- Elevé par la fée Viviane.
- Demi-frère d'Hector des Mares.
- Cousin de Bohort et de Lionel.
- Amant de la reine Guenièvre.
- Ami de Galehaut.
- Père de Galaad, qu'il engendre avec Hélène, la fille du Roi Pêcheur.
Chevalier à la cour du roi Arthur
- Chevalier portant un bouclier blanc à bandes rouges ("d'argent à bandes de gueules"), ou bien des armes de différentes couleurs qui préservent son anonymat.
- Parangon de la beauté, extrêmement séduisant, mais également très vulnérable.
- Tempérament changeant, allant de l'héroïsme à la naïveté
- Assimilé au léopard.
Il n'est pas envisageable de comprimer en quelques lignes l'ensemble des aventures vécues par Lancelot, tout au long des innombrables pages qui lui ont été consacrées.
Il suffira ici de retracer ici les grandes lignes de son existence :
Le roi Ban de Bénoïc régnait aux marches de la Bretagne armoricaine et de la Gaule. Il vivait avec sa femme Elaine et un tout jeune fils, baptisé sous le nom de Galaad, en un château isolé au milieu des marais, qui était réputé imprenable.
C'était sans compter sur la ruse que développa son voisin, Claudas de la Terre Déserte. Celui-ci investit les lieux et incendie le château. Ban, accablé par le désastre, meurt de douleur, laissant Elaine, seule avec son enfant, au bord d'un lac.
C'est alors que la fée Viviane, profitant de l'égarement de la reine, se saisit du bébé et, le tenant dans ses bras, gagne le bord de l'eau, y pénètre et disparaît bientôt aux yeux désespérés de la pauvre mère.Mais c'était là un lac merveilleux au fond duquel se dressait un magnifique palais doté de tous les agréments qui permettent une vie paisible et enrichissante.
Viviane y choie l'enfant et lui fait donner la meilleure éducation. Elle lui apprend qu'il est fils de roi, mais jamais ne lui révèle son nom.Quand il arrive en âge d'affronter le monde, elle le mène à la cour du roi Arthur pour qu'il s'y fasse adouber et et qu'il y connaisse la vie aventureuse d'un chevalier de la Table Ronde.Mais en fait d'aventure, c'est, sitôt arrivé à la cour du roi, la rencontre de la reine Guenièvre qui va marquer son destin.
Il lui voue d'emblée un amour sans partage, et ce n'est que par elle et pour elle qu'il accepte d'être fait chevalier. La première mission qui lui échoue est d'aller secourir la Dame de Nohaut. Il rencontre déjà en chemin quelques aventures : il conquiert entre autres le Château de la Douloureuse Garde qui était soumis au pouvoir de Brandis, et dont il réussit peu à peu à lever les enchantements pour en faire le Château de la Joyeuse Garde. Ce faisant il y découvre, parmi ceux des autres chevaliers de la Table Ronde, son propre tombeau ; il parvient à en soulever la lourde dalle et découvre ainsi son nom, ou plus exactement son surnom : Lancelot. Mais il continuera longtemps à le garder secret. Lancelot connaît une nouvelle aventure lorsqu'il devient le prisonnier de la Dame de Malehaut, et que Galehaut, un redoutable guerrier, menace le royaume d'Arthur. Lancelot obtient sa libération pour aller défendre le royaume. Mais ce combat scelle une profonde amitié entre lui et Galehaut. Une amitié que rien ne démentira, puisque celui-ci mourra d'amour pour Lancelot qu'il croit un instant mort, et que Lancelot voudra être enterré aux côtés de son compagnon. Et c'est au nom de ce lien que Galehaut accepte de baisser les armes et de se soumettre à Arthur, sauvegardant ainsi le royaume.C'est aussi grâce à l'entremise de Galehaut que Lancelot peut rejoindre Guenièvre, et concrétiser l'amour qu'il ne cesse de lui porter. Une nouvelle épreuve survient lorsqu'Arthur est abusé par la "fausse Guenièvre", une femme qui prétend que la reine est une usurpatrice et qu'elle-même est l'épouse légitime du roi. Il se laisse séduire et condamne la vraie Guenièvre à la honte et au bannissement. Devant une telle situation, le royaume commence à péricliter, et Lancelot se propose pour être le héros de sa dame. Arthur refuse, et Lancelot et Guenièvre se retirent ensemble au loin. Cependant, la santé du roi et du royaume ne cesse de décliner, et la fausse Guenièvre est obligée d'avouer la supercherie. Et c'est Lancelot qui doit insister pour que la reine reprenne sa place auprès d'Arthur : l'ordre du monde est en cause, et passe même avant son exclusive passion. Lancelot a dès lors affaire à Morgane, qui est tombée amoureuse de lui et qui ne cesse de le harceler sous une forme ou une autre. Il commence par lever les enchantements qui pèsent sur le Val sans Retour, où la fée retient tous les chevaliers qui se sont montrés infidèles à leur dame. Puis elle parvient magiquement à l'emprisonner et fait tout pour l'éloigner de Guenièvre. Elle subtilise un anneau qui permettait à Lancelot de résister aux enchantements, et finit par le libérer, à condition qu'il s'abstienne une année durant de se rendre à la cour et de parler à quiconque.C'est alors que Méléagant enlève Guenièvre et l'entraîne dans son royaume de Gorre, d'où nul ne revient. Lancelot se lance à nouveau dans l'aventure et, assisté de Gauvain, parvient à libérer la reine.
Après de multiples aventures, où il est davantage en butte aux enchantements et aux belles pucelles qu'aux chevaliers ennemis, Lancelot est accueilli au château de Corbénic, dont le maître est le Roi Pêcheur. Il y découvre un merveilleux Vase, qui dispense sur toutes les tables les mets les plus suaves, et qui est porté par une fort belle demoiselle. La nuit venue, il rejoint celle-ci qu'un breuvage magique lui fait prendre pour Guenièvre. C'est ainsi qu'il engendre Galaad, qui porte le nom initial de Lancelot : le pur chevalier à qui il sera donné de parvenir à la connaissance du Graal, mission qui, sans son coupable amour, incombait à son père. Après de multiples épisodes où notamment Lancelot, éloigné de la reine, sombre dans la folie, et où il se voit interdire l'accès du Graal, le scandale de sa liaison avec Guenièvre finit par éclater au grand jour. Arthur, qui jusque-là pouvait admettre cet état de fait, est maintenant contraint à réagir ; les clans s'opposent, l'équilibre de la Table Ronde est rompu. La société arthurienne est amenée à la ruine. Lancelot rejoint sa terre d'origine, la Gaule, et y subit l'assaut des armées du roi Arthur. Seul un combat singulier contre Gauvain, et la prise du pouvoir de Mordred permettent à l'étreinte de se desserrer.
Mais Arthur meurt dans la terrible bataille qui l'oppose à Mordred. Lancelot retraverse la Manche pour venger le roi. Mais le royaume est anéanti, et Guenièvre, retirée dans un monastère, vient à mourir. Lancelot a perdu toute raison de vivre. Il se retire et disparaît à son tour.
lancelot_topo.swf Mars Mullo
Il est beau au dehors et dedans plus encore.
(Chrétien de Troyes, Le Chevalier de la charrette)
Lancelot du Lac est essentiellement une figure romanesque. Chrétien de Troyes le met en scène vers 1180 dans Le Chevalier de la charrette et lui assigne une place auprès du roi Arthur (ou plus précisément auprès de la reine Guenièvre), parmi les Chevaliers de la Table Ronde. Il va ensuite devenir une des figures clefs de la Quête du Graal, avec le Lancelot-Graal, la première grande oeuvre en prose de la littérature française, un gigantesque monument qui se veut exhaustif et qui, sans cesse recopié et adapté, constitue une incontournable source d'inspiration pour tous les auteurs à venir, objet jusqu'à nos jours d'innombrables thèses, hypothèses, contre-thèses et tentatives de synthèses. Mais tout cela n'empêche pas le personnage de Lancelot d'avoir des attaches extra-romanesques : historiques autant que légendaires et mythiques.
C'est dans la mouvance d'Henri II Plantagenêt et d'Aliénor d'Aquitaine qu'il est d'abord popularisé, et il est certain que sa biographie s'inspire de lieux et de personnages historiques. Cette cour en effet, grande protectrice des arts et lettres, associait au trône d'Angleterre l'Anjou, le Maine et une grande partie du domaine royal français. Lancelot, issu de la Gaule, venait à point donné pour établir un lien avec le pays de Logres, autrement dit la Bretagne insulaire, la Grande-Bretagne, qui était le théâtre des récits arthuriens. Il s'y rend pour se faire adouber par Arthur, et il retraversera régulièrement la Manche, entraînant à sa suite les différents protagonistes de la Matière de Bretagne. D'autre part, la diffusion de ces récits d'inspiration celte imposera une alternative à celle, valorisée par les rois capétiens, des chansons de geste, qui elles étaient centrées sur le personnage franco-germanique de Charlemagne. Ce sont en fait deux conceptions de l'exercice de l'autorité qui s'opposent : celle, égalitaire, de la Table Ronde, où le roi est en quelque sorte coopté par ses pairs, face à une vision centralisée et pyramidale où tout pouvoir repose sur l'Empereur.
Cette extension de la tradition arthurienne sur le Continent a pu être localisée en divers endroits. C'est ainsi que Georges Bertin, à la suite de René Bansard et de J.-Ch. Payen, relève une source d'inspiration probable pour Chrétien de Troyes dans la légende des saints ermites qui, au VIème siècle, ont évangélisé le Passais, en Normandie, et tout particulièrement dans celle de saint Fraimbault de Lassay (Frambaldus de Laceio), dont le nom pourrait être traduit comme "le lancier du lac".
Il faut bien supposer par ailleurs que le personnage de Lancelot ne fut pas créé de toutes pièces, surtout si l'on considère la quasi simultanéité de son apparition chez Chrétien de Troyes et Ulrich Von Zatzikowen. Il a nécessairement existé des récits antérieurs où ces auteurs ont puisé, des récits qui s'inspiraient de traditions préexistantes. Il semble évident que ce personnage, au même titre qu'Arthur, Merlin ou Morgane, est ancré dans un contexte légendaire, qu'il trouve sa source et son écho dans certains antécédents mythiques. Comme le relève Charles Méla dans sa préface au Chevalier de la charrette, Chrétien de Troyes lui-même nous invite à regarder au-delà de ce qui est dit, "à entendre le sens caché sous l'écorce des mots", à quêter en quelque sorte la "substantifique moelle".
"Le meilleur chevalier du monde"
Lancelot, c'est le parfait chevalier, le héros solitaire, celui qui fait "cavalier seul". Il se tient à la croisée des chemins en attente de nouvelles aventures et, selon l'injonction de Viviane, il a résolu de ne jamais dormir deux nuits de suite au même endroit. C'est le léopard qui était attendu et qui symboliquement s'oppose au lion de la royauté française : "Merlin dit que du roi qui mourra de chagrin et de la reine douloureuse naîtra un merveilleux léopard fier, hardi, enjoué, courageux et gai qui surpassera en orgueilleuse vaillance toutes les bêtes de Bretagne qui auront affiché leur orgueil devant lui."
Sa valeur s'exprime entre autres en ce qu'il est le seul à pouvoir soulever l'épée d'Arthur, symbole du pouvoir. Et c'est à grand regret que celui-ci, après avoir mené la guerre contre lui, ne peut à sa mort la lui transmettre. Car, par-delà tous les aléas et vicissitudes, Lancelot reste le plus fidèle et le plus ardent défenseur du royaume, du roi et surtout de la reine qui, dans la tradition celtique, incarne la souveraineté. C'est à elle, Guenièvre, qu'il doit d'avoir été fait chevalier. C'est l'amour qu'il lui porte qui le fait agir, qui le meut. Mais c'est autant au secours du pays, de la "terre" que de la seule personne de la Reine, qu'il se porte lorsqu'elle se trouve écartée de la cour, soit qu'elle soit traîtreusement enlevée par Méléagant, soit que le roi lui-même soit abusé par une "fausse Guenièvre" qui prend indûment, auprès de lui, sa place.
C'est donc en tant que représentant d'un droit supérieur - au-delà de la royauté, la souveraineté - que Lancelot se montre vainqueur dans tous les combats comme dans tous les tournois. Comme le souligne Mireille Séguy, "Lancelot vainc parce qu'il est, toujours déjà, vaincu par Guenièvre". Il s'est institué entre lui et elle une relation féodale de vassal à seigneur, relation qu'il ne partage avec nul autre et qui le place, dans son intimité même avec la Reine, à l'égal du Roi. Et plus qu'aucun des autres chevaliers de la Table Ronde, il s'affirme comme un personnage providentiel - selon les mots de Jean Markale, le "deus ex machina du monde arthurien" - sans lequel Arthur perd tout pouvoir et toute légitimité. A tel point que le royaume court à sa ruine dès que le roi, convaincu de l'adultère, doit l'écarter de sa cour.
Et pourtant il y a réellement faute, il y a transgression, nécessité de dissimuler : "Pour être parfait, l'amour de Lancelot et de Guénièvre doit demeurer caché", nous dit Jean Markale. La seule vue de la reine lui fait perdre tous ses moyens, il oublie tout, reste insensible aux coups qui pleuvent sur lui et se met en danger, quand ce n'est pas sa Dame elle-même qui lui demande de combattre "au pis", de se laisser circonvenir. Sans défense, il se retrouve plusieurs fois prisonnier, et en particulier de femmes, qu'il s'agisse de la Dame de Malehaut ou de Morgane, éventuellement accompagnée de deux autres enchanteresses. L'exclusivité de sa passion le conduit inévitablement à l'échec : épris de Guenièvre, il éconduit Morgane, ce qui condamne de fait son amour. Et c'est celui-ci qui l'empêche de mener à son terme la quête du Graal pour laquelle il était élu. Lancelot est le parfait chevalier ; il n'en est pas moins homme, soumis à la faiblesse humaine. Car, comme le note François Mosès, "dans ce monde où nul ne peut vivre sans péché, Dieu fait l'histoire avec les péchés des hommes." Là réside sa force, et en même temps sa limite.
Tout concourt finalement à faire de ce "super-héros" un "héros de l'échec", un anti-héros avant la lettre, qui a souvent besoin que Gauvain vienne à sa rescousse. Comme le rappelle Mireille Séguy, son parcours reste "voué à la souffrance et à la détresse". Et Charles Méla note que "ce héros vit avec la conscience de sa faillite en tant que héros".
"Le beau trouvé"
Lancelot est un personnage foncièrement ambigu, et c'est la tragique impossibilité où il se trouve de résoudre ses contradictions qui fait sa richesse. Il a certes le caractère bien trempé, mais il reste toujours imprévisible, tour à tour héroïque et vulnérable, vertueux et adultère, fier et honteux, courageux et distrait, impétueux et rêveur :
"Celui de la charrette est pris dans ses pensées
comme un être sans force ni défense
à l'endroit d'Amour qui le gouverne.
Et dans ce penser il en vient au point
où il perd toute notion de lui-même,
il ne sait plus s'il est ou s'il n'est pas,
il n'a plus souvenir de son nom,
il ne sait s'il est armé ou non,
il ne sait où il va, il ne sait d'où il vient,
toute chose s'est effacée de sa mémoire,
hormis une seule, et pour celle-là,
il a mis toutes les autres en oubli.
A celle-là seule il pense si fort
qu'il n'entend, ne voit, ni n'écoute rien.
Cependant son cheval l'emporte avec rapidité,
sans prendre de détours,
par le meilleur et le plus droit des chemins. "
(Le Chevalier de la Charrette, v 711-727, trad Ch. Méla)
Par dessus tout, Lancelot se dérobe derrière son anonymat, ne se connaissant pas lui-même. "J'ignore totalement qui je suis et où je vais", déclare le Lanzelet du roman d'Ulrich Zatzikhoven. C'est tout vêtu et équipé de blanc qu'il arrive à la cour du roi, comme une page vierge sur laquelle vont s'inscrire ses aventures. Et, à la manière de Perceval, ou d'Arthur, il ne découvre son nom, son identité qu'à travers la prouesse et l'exploit. Mais ce qui n'était qu'un trait passager devient chez lui une véritable propension au secret et à l'absence de lui-même. Ce peut n'être qu'un artifice littéraire, comme dans Le Chevalier de la charrette où il faut attendre qu'à la moitié du récit il parvienne jusqu'à Guenièvre, pour que son nom soit révélé, et justement sur les lèvres de celle-ci. Plus simplement c'est incognito, sous des armes qui ne sont pas les siennes, qu'il brille dans les tournois, et il n'est que la ferveur de Guenièvre pour le deviner sous ces faux-semblants. Même lorsqu'il chevauche à visage découvert, c'est de façon incorporelle qu'il se déplace :
" Vous êtes invisible.
- Pourquoi ?
- Comment vous reconnaîtrait-elle parmi les cent visages que vous avez pris depuis un an, comment saurait-elle, comment ferait-elle le lien ? Comment les réunirait-elle tous en un seul ?"
(Graal Théâtre)
Lancelot en fait a gardé quelque chose de la transparence qui dissimulait aux yeux de tous, sous la trompeuse surface d'un lac, le palais où Viviane l'a élevé.
Son itinéraire est une perpétuelle quête de soi, d'un soi toujours fuyant : quête de son identité, quête du coeur, quête du corps (il disparaît régulièrement, et ses compagnons partent à sa recherche), quête de l'objet même de sa quête. Il est marqué dès sa prime enfance par la destruction et l'effacement de sa personnalité : fils de roi, il est dessaisi de son titre, de ses biens, de sa famille, de son nom et de son surnom, de sa mémoire même ; attaché à la cour du roi Arthur, il demeure un étranger, marqué par son origine gauloise ; appelé à la quête du Graal et à la reconquête de son royaume, il se lie au service de la reine ; exalté par la force de son amour, il se doit de le garder secret ; et, élevé par une fée, il demeure entre deux pays, entre deux mondes, entre deux états de conscience : "Toujours susceptible d'être reconduit à l'espace des confins de son enfance, Lancelot est sans cesse en instance d'égarement." (Mireille Séguy)
Il en vient ainsi à incarner l'humaine nature, exprimée sur le mode de l'errance :
"Vous êtes un des plus fous chevaliers du monde !
Vous êtes de ces chevaliers errants qui vont flânant
par tous pays, à la recherche de folies et qui finissent
par mourir de faim et de misère comme des bêtes."
Lancelot traverse le pont de l'épée, afin d'aller délivrer Guénièvre - chapiteau de l'église St-Pierre, à Caen
Saint Fraimbault, équivalent chrétien de Lancelot, à St-Fraimbault-de-Prières (53)
Saint Fraimbault, équivalent chrétien de Lancelot, à St-Fraimbault-de-Prières (53)