On dit que sous les eaux du lac de Grand-Lieu repose une formidable cité. Une cité impie, qui rejetait Dieu, et dont curieusement on continue d'entendre sonner les cloches des églises... Il s'agit d'un des plus grands lacs de France. Classé parc naturel, c'est un site unique. Il est fortement marqué par saint Martin de Vertou qui, au VIème siècle, a beaucoup oeuvré pour évangéliser le région. Mais l'ensemble de son fonds légendaire semble renvoyer à des croyances et traditions pré-chrétiennes, à travers lesquelles Jean Paul Lelu discerne une certaine unité.
Statue de saint Phillbert dans l'église de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu
- « Le Lai de Tydorel », entre 1170 et 1210 - traduction Danielle Régnier-Bohler, Le Coeur mangé. Récits érotiques et courtois des 12e et 13e siècles, Paris, Stock/Moyen Age, 1979, rééd. 1994.
- Albert LE GRAND, Les Vies des saints de la Bretagne Armorique, 1636 - Quimper, J. Salaun, 1901.
- Thomas de SAINT-MARS, « Notice sur le lac de Grand-Lieu et la cité d'Herbauge », Mém. de l'Académie celtique, 1810, tome V.
- Léon MAITRE, Histoire du lac de Grand-Lieu, 1905.
- Léon MAITRE, Le Lac de Grand-Lieu et ses affluents, Paris, Res Universis, 1993.
- Michel LOPEZ, L'Histoire de votre ville : Bouaye (Loire Atlantique)
- Michel LOPEZ, Histoire de Bouaye des origines à 1789, Université de Nantes, 1978.
- Gwenc'hlan LE SCOUEZEC, Guide de la Bretagne mystérieuse, Paris, Tchou, 1966.
- Pierre FREOR, Le Lac de Grand-Lieu, les Binet de Jasson, le cheval Mallet, éd. Du Pays de Retz, 1979.
- Jacqueline HAUTEBERT, « Le jeu féodal du cheval Mallet à Saint-Lumine-de-Coutais », Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 98.
- Léon DELATTRE, « Le Cheval Mallet », Bulletin de la Société archéologique de Nantes, 1910.
- Jean Paul LELU, « Quelques traces d'une organisation de l'espace autour de la ville de Nantes », Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 132.
- Jean Paul LELU, « Légendes et traditions autour du lac de Grand-Lieu, Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 194.
- Patrice BOUSSEL, Lieux et histoires secrètes de Bretagne, Editions de la Porte verte, 1980.
- Jean GUICHARD, Beate ALTHENN, Les Rencontres imaginaires, Nantes, Siloë, 2001
Les marais
La fontaine Saint-Rachou, à Saint-Aignan-de-Grand-Lieu
Le lac, près de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu
Les alentours du lac de Grand-Lieu sont riches de multiples témoignages archéologiques couvrant toutes les périodes : mégalithes et objets préhistoriques, forteresses gauloises, fondations romaines ...
Historiquement, Saint-Philbert-de-Grand-Lieu est bien sûr marqué par l'abbatiale carolingienne fondée à Déas par les moines de Noirmoutier qui, talonnés par les Normands, y déposèrent en 836 les reliques de saint Philbert. L'abbaye est brûlée en 847 et, devant une nouvelle menace, elles sont emportées vers Cunault puis à Tournus.
La première mention de Bouaye remonte à 1115. La fondation en serait due à saint Hermeland, qui évangélisa les lieux au VIIème siècle.
La châsse de saint Philbert opère un miracle
L'Ognon à Pont-Saint-Martin
La châsse de saint Philbert arrive à Déas
La plupart des récits situés autour du lac de Grand-Lieu se rapportent à la ville de Nantes, certes le pôle urbain proche, mais situé sur l'autre rive de la Loire et longtemps sous une autre juridiction : la Bretagne et non le Poitou. Certes on évoque, sans doute à tort, l'implantation initiale de la cité et du port nantais à Rezé, sur la rive gauche, donc à proximité du lac. Mais ce hiatus géographique explique certains éléments du tissu légendaire local : saint Martin de Vertou, par exemple, missionné par l'évêque de Nantes, n'avait peut-être pas qualité pour y prêcher, ce qui peut justifier son échec à Herbauge.
Albert le Grand propose un autre point de vue, qui insiste sur l'attachement de Grand-Lieu aux traditions païennes : Nantes, à l'époque romaine, était surtout étendue sur la rive gauche, et les habitants, après que César ait défait la flotte vénète, se seraient enfuis et réfugiés dans les marais le long de la Bologne. La situation s'étant calmée, ils seraient sortis de leurs cachettes, et auraient entrepris d'édifier la ville d'Herbauge, « une des plus grandes, riches et florissantes de Bretagne », laquelle ne manquera pas de tomber dans la débauche.
Jean Paul Lelu rapproche le nom du pays d'Herbauges de ceux des Mauges et de Tiffauges, au travers d'une légende rapportée par une chronique du XIème siècle : le comte de Nantes, Lambert, aurait distribué en 843 des territoire situés au sud de la Loire, en territoire picton, à trois de ses chevaliers. Gonfier, son neveu, aurait reçu Herbauges, Rainier les Mauges, et Girard Tiffauges. Ils eurent à lutter contre Bego, duc d'Aquitaine, et celui-ci fut finalement tué par Gonfier au gué de Blaison.
On retrouverait dans cette tripartition du sud du pays nantais le reflet des trois fonctions duméziliennes : les Mauges, pays d'élevage, riche de ses mines d'or, représenterait la troisième fonction (la prospérité matérielle) ; Tiffauges, terre des chevaliers Teiphales, illustrerait la seconde fonction (la force physique) ; et Herbauges hériterait de la première fonction, religieuse, qui transparaît avec l'histoire de saint Martin de Vertou.
La pierre de l'île de Dun, aujourd'hui disparue, était réputée fermer le gouffre d'où avait jailli l'eau qui a englouti Herbauge. Elle maintient aussi prisonnier le Géant du Lac (d'aucuns y voient le roi Gradlon) que saint Martin parvint à subjuguer. Ce sont ses soubresauts en vue de se libérer qui provoquent encore aujourd'hui les tempêtes sur le lac. Il doit y rester enfermé jusqu'à ce qu'une jeune vierge, vêtue de blanc, soulève la pierre en passant le bras gauche par le trou tout en tenant à la main droite une ceinture bénie munie d'un noeud coulant pour attraper le géant. Certains pensent qu'il se convertirait alors au christianisme et épouserait la jeune fille.
Reste que le récit de la vaine tentative de conversion d'Herbauge par saint Martin semble suggérer un profond enracinement de croyances païennes en ce lieu. Et ce combat transparaît à travers des allusions, autour du lac de Grand-Lieu, à un personnage puissant (le Géant du Lac, le Diable à Pont-Saint-Martin, le roi de la ville d'Herbauge, le duc d'Aquitaine Bego tué sur un gué), mais enchaîné, lié à l'eau, qui se trouve dominé sans être pour autant nécessairement annihilé. Est-ce ainsi qu'il faut entendre le dicton (dont on retrouve l'équivalent dans d'autres sites comme celui de la ville d'Ys) : « Quand Herbauge se relèvera, Nantes périra » ? L'eau en tout cas reste sacralisée, imprégnée de pouvoir, comme le montre l'ancienne coutume consistant pour le juge de la seigneurie de rendre ses sentences en bateau, le pied droit déchaussé, ou bien l'épée, au contact de l'eau. Et elle semble avoir été associée au cheval, puisque, au-delà de la légende du cheval Mallet, les droits de pêche à Saint-Aignan, au XIIème siècle, étaient limités aux zones où un cheval pouvait aller par les basses eaux : « autant que homme à cheval pouvoit entrer et chevaucher par iceluy un tems qu'il estoit plus bas ».
Le cheval joue également en ces lieux un rôle manifeste, que l'on retrouve sur les pièces de monnaies celtiques trouvées dans la région, où l'on voit galoper un cheval à tête humaine.
Si l'on suppose la rencontre de la reine et du chevalier au fond de la boire Malet, à Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, on peut mesurer la traversée sous l'eau de 4 lieues gauloises (soit 8888 mètres) dans le plus grand axe du lac ; et c'est sur la rive de Saint-Lumine-de-Coutais qu'il aurait retrouvé la terre, là-même d'où émerge le cheval Mallet. Par ailleurs, si l'on reprend l'hypothèse de Jean Paul Lelu concernant l'étymologie possible de Grand-Lieu : « lac de Grannos », le cheval, de couleur blanche, serait une forme adoptée par ce dieu solaire lié au 1er mai - fête de Belenos et clé antérieure (première date possible pour la célébration) de la Pentecôte qui célèbre le cheval Mallet ; cette divinité aurait ensuite diabolisé par la tradition chrétienne.
Le lac, à Saint-Lumine-de-Coutais
Saint Philbert exorcise une possédée, église de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu
Saint Philbert exorcise une possédée, église de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu
Jean Paul Lelu, SMF
Madame Géraud, Groupe Histoire (Saint-Aignan-de-Grand-Lieu)
André David (Saint-Lumine-de-Coutais)
Bibliothèque Municipale de Bouaye
Fanny Pacreau, Association Culturelle de Grand-Lieu
Madame Lebrunet, musée du Pays de Retz (Bourgneuf)
Jean-Paul Débenat