Le quartier des Ardilliers, au bord du fleuve, à l'extrémité orientale de la ville de Saumur et au-delà du Fenêt où peut-être se dressait un ancien fanum (temple) gallo-romain, n'est pas un site anodin. C'est sans doute là que l'on peut situer le Bois-Doré (désignant un lieu sacré ?) ou Bois dou Ré, du Roi ou encore d'Orée, un lieu-clé de l'histoire légendaire de Saumur, puisque c'est là que saint Florent aurait, à la demande des habitants de la ville, anéanti un dragon qui s'était réfugié dans une cave. C'est là aussi que le moine Absalon, de retour de Tournus avec les reliques du saint, se serait réfugié dans une grotte-oratoire et est réputé avoir sculpté une statue de la Vierge. Et c'est encore là, près d'une source, que cette statue - en fait une pietà - fut retrouvée en 1454, donnant naissance au culte marial (l'antériorité de la statue reste toutefois discutable, étant donné que le thème de la pietà n'apparaît qu'au XVème siècle). C'est un laboureur qui, retournant l'argile de son champ aurait heurté, près de cette fontaine, une pierre qui se révéla être une statue de la Vierge. Il l'emporta chez lui et, le lendemain matin, la retrouva dans son champ. Rentré chez lui, il constata effectivement sa disparition. Il la ramena donc à nouveau, et la retrouva une fois encore dans le champ le surlendemain, ce qui évidemment était un signe qu'elle souhaitait rester sur place, sur ce lieu consacré. Cette tradition de « statue récalcitrante » rejoint ici la coutume locale de laisser la Vierge en place, dans les niches des habitats troglodytiques, même en cas de déménagement (tel aurait d'ailleurs été le réflexe d'Absalon au moment de quitter sa cave). Trois autres tentatives, vaines bien entendu, confirmèrent par la suite son caractère inamovible : un voleur veut l'emporter pour sa paroisse et se trouve « roide et immobilisé jusqu'à ce qu'il eût demandé pardon de son attentat » ; les trois chevaux d'autres voleurs refusent d'avancer ; et en 1553, au moment de la construction de la chapelle, on essaie de la disposer sur le grand autel : elle retourne sous l'arceau qu'on lui avait aménagé. La statue fut alors exposée dans une grotte et a longtemps été l'objet d'une simple dévotion locale. La guérison miraculeuse d'une jeune fille muette et paralysée, le 29 juin 1594, le jour de la Saint-Pierre, inaugure pourtant toute une série de miracles. Ils se multiplient bientôt, et la réputation des Ardilliers se répand au loin, attirant des foules de pèlerins. Et la première chapelle des Ardilliers, consacrée en 1553 sous le nom de Notre-Dame-de-la-Pitié, sacralise définitivement l'endroit ; la source surgissait au nord-est du choeur, passait devant l'autel de la Vierge et ressortait pour être recueillie dans un réservoir à l'extérieur, et l'on ne peut s'empêcher de se demander si son eau, désormais christianisée, ne perpétuait pas une ancienne fontaine sacrée, bien qu'aucun document ne l'atteste. L'église reste cependant à la merci des crues de la Loire (comme en 1615 où l'eau monte jusqu'à la pierre de l'autel). Elle ne tarde cependant pas à prendre des proportions importantes, et les Oratoriens et autres communautés religieuses se regroupent aux alentours. Le XVIIème siècle est la grande période des Ardilliers, y attirant des foules nombreuses ; de nombreux miracles sont alors attestés (133 entre 1594 et 1713) concernant notamment des paralytiques et des aveugles. Le XVIIIème siècle est un période de déclin, mais le XIXème siècle, avec de nouveaux miracles, revoit les pèlerins affluer. La légende fondatrice ne fut divulguée qu'au début du XVIIème siècle, sur la foi de deux Saumurois âgés de plus de cent ans. On y retrouve les principaux éléments qui se conjuguent en bien des sites d'apparition, comme à Lourdes : la source, une cavité dans le rocher, des guérisons, sans parler du développement du commerce d'objets de piété (le Fenêt a longtemps abrité une industrie florissante de chapelets). La Vierge des Ardilliers, qui porte le corps de Jésus mort, fait en quelque sorte écho, en s'y opposant, à celle de Nantilly, qui porte l'enfant Jésus. Au mystère joyeux répond le mystère douloureux, la mère porteuse de vie et d'espoir fait place à la mère de pitié, passeuse vers l'autre monde. Elle émerge de la grotte où elle fut sculptée et cachée, et se retrouve honorée, non dans un édifice roman sur un tertre, mais sous un dôme imposant qui domine fièrement la Loire. Et si le symbolisme tellurique (grotte et source) est toujours présent, il s'y trouve en quelque sorte maîtrisé, rationalisé. L'association avec la pierre y remplace celle avec l'eau. Et la grande histoire des Ardilliers se déroule en plein jour : c'est celle des pèlerinages et des miracles qui y sont attestés, tout autant que celle des ordres religieux qui ne tardent pas à se greffer tout autour de ce site majeur.
La pietà, dans l'église de Notre-Dame-des-Ardilliers